Cap sur la Catalogne. La région galactiquement connue chez les amateurs de cailloux possède en effet une myriade de sites d’escalade disséminés dans tous ses recoins. Difficile d’en choisir un ! Après une concertation particulièrement brève et un « check my hand » plus tard, nous décidons de mettre plein gaz direction Oliana, une petite bourgade perdue à quelques heures de calèche au nord de Barcelone. Bingo l’endroit est superbe, de quoi en prendre plein les mirettes ! Les forêts sont verdoyantes et les villages perchés en amas en sommet des collines sont entourés de chaînes de montagnes qui s’étendent à perte de vue, sillonnées par des rivières et des lacs au bleu glacé. Au pied de l’impressionnante falaise d’Oliana, un océan mural s’incline devant nous. En dessus de nos têtes, de grands oiseaux fendent l’air dans un ballet aérien.
Malgré le peu d’espagnol que nous parvenons à baragouiner, les villageois d’Oliana nous réservent un accueil chaleureux et nous font comprendre en rigolant que nous sommes bien fous de passer nos vacances dans leur village en plein hiver à se hisser toute la journée en haut d’un rocher de 50 mètres. Heureusement, la plupart des journées sont baignées de soleil qui embrase la falaise, bien qu’à la nuit tombée, les températures deviennent pinguinesques et les stalactites de glace menacent de nous pendre au nez.
Ce calme apparent ne nous laissait pas présager l’arrivée du week-end, période de transhumance des grimpeurs vers leur lieu de culte. Le site devient alors aussi bondé qu’un magasin IKEA pendant les soldes. En arrière plan sonore, les intenses vociférations de l’aficionados espagnol défiant les lois de Galilée se mélangent aux « venga bicho, a muerte ! » d’encouragement de ses compatriotes, aux « come on » des anglophones, ou encore aux « gamba gamba » des Japonais. Comptez en sus un fidèle compagnon à 4 pattes par cordée, de la saucisse aboyante au Golden bavant à quelques centimètres de nos sandwichs et vous obtiendrez le tableau complet. Plus prosaïquement, une belle pagaille où s’entremêlent autant de cramés de l’escalade dont la passion et l’énergie donnent lieu à de belles rencontres.
Prise après prise, jour après jour, le plaisir de grimper me fait progresser. Jim danse également le twist comme Travolta sur cette falaise et s’offre au p’tit déj’ la voie Picos de Pardos 8b, 4 jours après notre arrivée. Quelques heures plus tard, lorsque les ombrent commencèrent à lécher le rocher faisant descendre agréablement le mercure, j’empoche à mon tour dans la battle du siècle les 50 mètres de Fisheye côtée 8c !
Après cette petite victoire aussi délicieuse qu’un churros au chocolat et pour éviter un week-end à Oliana à faire la queue comme aux heures de pointe à la Poste, nous prenons le large pour découvrir les sites alentours. De quoi tomber raide amoroso de la région !
Deuxième round. Au casting : Moi vs Mind Control 8c (+). Le scénario : tordre le cou à cette voie. Le budget : prévoir quelques millimètres de peau à sacrifier. Date de sortie : imminente.
Après trois jours de travail, je savais que le 4ème serait le bon. Toutefois, bien que Miss météo nous ait fait miroiter un demi-soleil couplé d’un petit nuage, les prévisions météorologiques de la région sont aussi fiables qu’un horoscope chinois. Au petit matin, un orteil en dehors du bus me suffit à prédire au pifomètre une journée plongée dans un épais brouillard ambiance post-apocalyptique. Un froid incisif et une humidité à ravir les grenouilles qui n’arrangent en rien mes affaires. Pas un chat à la falaise. Évidemment, qui est assez fou motivé pour venir grimper par un temps pareil… Avec la boule au ventre, je m’élance mais effectue par deux fois un retour anticipé à la case départ avec la sensation de grimper avec des glaces Calippo à la place des doigts. La raison me dicte de ne pas insister et de m’économiser pour retenter ma chance le lendemain. Cependant, la patience n’a jamais été une de mes vertus et persuadée que la réalisation est intimement liée à la conviction inébranlable que c’est possible, je prends le taureau par les cornes et m’élance dans le run de la dernière chance, celui qui s’accompagne de cette petite pression qui a toujours été à mes cotés pour me dépasser.
Malgré une fatigue intense, les mouvements s’enchaînent. Sans hésitation ni précipitation, je passe le premier crux qui m’avait tant posé problème. Prise après prise je me mouve vers mon objectif, plus rien ne vient me perturber. Mon rythme cardiaque s’accélère. Mes bras se mettent en quatre pour me sauver la mise mais la fatigue qui transperce mes muscles me hurle de me lâcher. « Respire, reste calme ». Ma concentration ne faillit pas, ma tête résiste et me dicte mes mouvements me portant toujours plus près du sommet.
Je clippe le relais.
Gabriel Rancourt capture mon dernier essai avant l’enchaînement
En mode machina, je termine le séjour avec Gorilas en la Niebla 8b+ et Mon Dieu 8a+ à vue. Pour celles et ceux à qui ces hiéroglyphes ne riment qu’avec un charabia prétentieux, retenez qu’il s’agit à chaque fois d’environ 50 mètres de combat vertical avec à la clé, le Graal auquel chaque grimpeur aspire : la sensation d’avoir accompli l’impossible.
Jim quant à lui s’est attaqué à Gorilas en la Niebla, la voie la plus dure qu’il ait travaillée jusqu’à aujourd’hui. Très proche d’empocher cette voie, notre séjour n’aura toutefois pas été suffisant pour concrétiser ce projet. Sa progression et sa détermination n’aura toutefois eu de cesse de me surprendre et représente un accomplissement en soi !
Nous quittons finalement Oliana sous les flocons de neige. Un instant gelé dans notre mémoire.
Après quelques jours passés les pieds en éventail dans un hôtel-spa salvateur de Barcelone afin de donner un peu de répit à nos ongles en dentelle et nos genoux tachetés de couleurs oscillant entre les sept couleurs de l’arc-en-ciel, nous sommes de retour aux affaires sérieuses. Nous passons par différents sites de la région avant de nous arrêter quelques jours à Santa Linya. Une grotte gargantuesque abritant peu de voies pour le commun des mortels, il faut être capable de valser dans le 8ème degré pour espérer sortir la tête de l’eau. Les massages et le jacuzzi ont toutefois été bénéfiques, je sors rapidement La Fabelita 8c.
Les semaines s’écoulent mais le temps ne nous rattrape pas. Sans aucun sablier pour limiter notre plaisir, chaque jour passé est un jour qui aura compté. Je remercie ma famille et mes sponsors BCJ, Scarpa et Mammut qui me permettent d’imaginer et de poursuivre mes rêves, Jim qui derrière son objectif immortalise par ses clichés ces instants en souvenirs impérissables ainsi que tous ceux qui nous encouragent dans notre aventure, vos messages sont précieux !
A tout bientôt
Katherine
Cet article est superbe! Ludique, vivant et tellement vrai!Merci Kat pour ces beaux moments que nous pouvons partager avec toi. mam
Merci beaucoup!! ça me fait très plaisir de pouvoir vous partager un bout de ma passion et de mon voyage 🙂
Content d’avoir vu voir c’est exploit en direct ! Beau travail Katherine !
Merci beaucoup!! Un grand merci d’avoir immortaliser mon passage dans cette voie et pour tes encouragements 🙂 à la prochaine j’espère!
Hola las arañas catalanas! Bravo pour vos exploits et pour ce blog passionnant! Kathy, tes doigts érodés par le rocher ne t’empêchent pas d’écrire avec beaucoup d’humour, d’humanité et de passion. Quelle belle description de ta ténacité et de ton courage! Muchos besitos a los dos y hasta la victoria siempre 😉
Merci beaucoup Nicole, ton message me fait très plaisir!! J’espère que vous allez bien 🙂 Gros bisous