En arrivant sur le sol américain, tels des zombies jetlagués de 17h de décalage, nous limaçons à travers les couloirs de l’aéroport jusqu’à notre mini Mazda, qui avale sans plus tarder les dizaines de miles nous séparant de l’Oregon. L’idée était tout d’abord de ne visiter que quelques sites d’escalade et de s’y attarder un moment. Mais une boulimie de grimpe et de découverte nous a finalement assaillis, exaltés par la ribambelle de sites d’escalade et la liberté retrouvée clés en main par notre voiture.
Sur une ligne miroitante de bitume s’étirant désespérément à l’horizon, nous empruntons un virage à 180° de ce que nous avons vu jusqu’à présent. Après une petite overdose de riz asiatique et de gesticulation en tout genre pour se faire comprendre, ces deux mois de trip sauce ketchup au confort occidental proche du nôtre, à quelques détails de proportions près –les délices taille XXL de nourriture menaçant de me transformer en petit mètre cube- passent à merveille.
Doudounes brûlées par les barbecues, bonnet vissé sur la tête et démarche courbée de primate, nous sommes bien arrivés au camping des grimpeurs. Et ce qui nous attend au-delà des portes du parc de Smith Rock, dépasse de loin les images sur papier glacé tirées des magazines.
Des parois verticales, lisses, hachées de réglettes et de trous exigeant un travail de pieds précis sur de toute petites prises, la gestuelle très esthétique des voies est incroyable !
Après une semaine de belles envolées, nous reprenons la route à travers l’Idaho et ses paysages tirés des films de cowboys, pour rejoindre Maple Canyon situé à 2 heures de Salt Lake City en Utah.
Croisant quelques biches bondissant sur notre chemin, nous pénétrons dans l’étroit canyon de Maple, un agglomérat de galets aux couleurs blanc et orangé, ancré à plus de 2000 mètres, ce qui en fait normalement un site d’été très prisé. Pipedream son secteur phare, est un voyage de grimpe à l’horizontale dans le ventre d’une grotte gargantuesque, déroulant de longues voies exigeantes à tâter des galets ronds et fuyants, où un genou bien placé se révèle salvateur. Un agrégat chaotique de galet globalement solide, réservant toutefois quelques mauvaises surprises lorsqu’aux derniers mouvements d’un marathon d’endurance tête à l’envers, un de ces cailloux décide de prendre la poudre d’escampette sous nos yeux médusés.
Les bras rôtis et toastés, nous reprenons route, sillonnant les paysages diversifiés et les perles géologiques de l’Utah, à la croisée de mondes époustouflants tantôt composés de forêts de pins et de végétation luxuriante, puis de lacs gelés et sommets enneigés, avant que l’environnement austère et impitoyable du désert ne reprenne ses droits. Constitué de dômes massifs, d’aiguilles élancées, de monolithes dénudés, de canyons sinueux et d’arches élégantes défiant les lois de la gravité, traverser le désert sous un ciel bleu fluo où les aigles royaux tournoient dans le ciel, montant leur garde silencieuse sur le désert qui s’étend à leurs pieds est une épopée en soi !
Troquant short contre doudoune, nous faisons ensuite un crochet par le canyon de Rifle au Colorado, où s’écoule une rivière accueillant le long de sa berge une myriade de voies dures.
Dans un style de voie plutôt complexe et pas évident à déchiffrer « à vue », cette falaise de calcaire parfois un peu poli qui nécessite de trouver des parades quand on a oublié d’être grand, se révèle finalement prometteuse à qui sait lui donner sa chance.
De retour sous des températures plus clémentes, nous repartons grimper dans la région de Saint George en Utah.
Sise au milieu d’une fournaise désertique, notre chemin nous mène ensuite dans l’extravagante Las Vegas ! Scintillant de tous leurs feux, les façades des casinos et hôtels rivalisent d’originalité et d’artifices, nous baladant du pont de Brooklyn à la Tour Eiffel, en passant par la pyramide du Luxor et les canaux de Venise, où paradent à bord de pagode, les amoureux fraîchement mariés.
Échappant aux tentacules de la ville, c’est surtout le parc national de Red Rock ancré à une vingtaine de minutes des néons clignotant du Strip qui aura retenu notre attention.
Ici le désert est roi. Quelques pins et genévriers rabougris déformés et asséchés témoignent de la rigueur du climat, bien qu’à l’ombre on se surprenne vite à grelotter. Mais Red Rocks est avant tout un temple d’escalade qui contente les grimpeurs de couennes, multilongueurs, trad’ et même de bloc par son assortiment de falaises d’un grès multicolore, tantôt rouge vif, noir puis beige, où évoluent des voies verticales à léger dévers.
Pas encore rassasiés, nous décidons d’aller gratter les derniers millimètres de peau de nos petits coussinets du côté de Bishop pour notre unique étape bloc du voyage, ajoutant en cours de route une petite trotte de quelques heures par le Yosemite, amorçant des rêves de grande voie.
A Bishop, nous baladerons nos sacs à pof sur la roche volcanique du secteur Happy Boulder, un champ de blocs au milieu d’un canyon désertique et dans le chaos de blocs granitiques en forme d’œufs géants des Buttermilks, s’étendant à perte de vue et titillant parfois les 10 mètres de hauteur, entourés d’un paysage montagneux à couper le souffle, sous un soleil traître qui me fait terminer la journée en tomate grillée.
Nos belles longueurs nous manquant cruellement, on reprend de l’altitude sur le caillou avoisinant d’Owen’s River Gorge dans le secteur Eldorado Roof tout en cheminée, dièdre, et toit en fissures, qui offre de belles envolées au son des flots impétueux de la rivière.
La bourse bien allégée mais l’expérience emmagasinée, ces deux mois de vadrouille dans l’Ouest américain touchent cette semaine à leur fin. Ma tartine de mot terminée, je résumerai toute cette joyeuse mélasse en remerciant à nouveau mes partenaires Scarpa, Mammut et la BCJ pour leur soutien dans l’accomplissement de ce projet, qui nous aura permis de nous en mettre plein la vue, mais surtout plein la vie !